Transmission du Corse
Langue corse : réception, transmission et pratique
Roman JANIK
Résumé
En Corse, plus d'un adulte sur deux avait des parents qui, dans sa petite enfance, lui parlaient le corse. Certes, tout au long du 20e siècle, la réception comme la transmission du corse a diminué, mais moins que pour les autres langues régionales. La langue corse est encore parlée par près d'un adulte sur deux, bien sûr parfois occasionnellement et moins souvent par les jeunes générations. Ces proportions sont toujours plus fortes lorsque l'on s'intéresse aux natifs de l'île y résidant.
Publication
Lors de l'enquête «Etude de l'histoire familiale» réalisée en même temps que le recensement de 1999, plus d'un adulte sur deux résidant en Corse en 1999, a déclaré que ses parents, l'un ou l'autre ou les deux, lui parlaient habituellement ou occasionnellement corse dans sa petite enfance. Cet héritage linguistique, dont ont bénéficié quelque 106 000 personnes, correspond à la réception de la langue corse. Or, cette réception diminue au fil des ans, comme celle de toutes les langues régionales d'ailleurs: pratiquement 70 % des générations nées avant la 1ère guerre mondiale ont reçu le corse de leurs parents, après la 2e guerre mondiale cette proportion descend sous les 55 % et diminue jusqu'à 41 % pour les plus jeunes. Toutefois, le déclin de la réception est atténué lorsqu'on observe les déclarations des seuls natifs de Corse: les proportions citées s'élèvent respectivement à 90 %, puis à 80 % et enfin à 44 %. Ces évolutions sont comparables à celles de l'alsacien et restent à un niveau beaucoup plus élevé que celles du breton en Bretagne, de l'occitan en Aquitaine et du basque au Pays basque.
La réception occasionnelle prend le pas sur la réception habituelle
Au cours du 20e siècle, les proportions de personnes à qui les parents parlaient corse ont évolué de manière différente selon que cette pratique était habituelle ou occasionnelle. Si la réception habituelle a fortement chuté en passant de 60 % pour les générations nées avant la Grande guerre, à moins de 10 % pour les plus jeunes de moins de 35 ans, la réception occasionnelle s'est au contraire développée et est passée de 15 % à plus de 30 %. C'est au sortir du 2e conflit mondial que la réception occasionnelle a prévalu. Au total, sur l'île, tous âges confondus, il y avait en 1999 autant de personnes ayant reçu le corse de manière habituelle qu'occasionnelle.
Le taux de retransmission, de l'ordre de 60 %
Une retransmission plus occasionnelle qu'habituelle
Comme on a demandé aux adultes enquêtés en 1999, en quelles langues leur parlaient leurs parents quand ils étaient jeunes enfants, on leur a aussi demandé en quelles langues eux-mêmes ont parlé ou parlent à leurs propres enfants. La proportion des parents ayant répondu le corse s'établit à 35 %, ce qui correspond à 50000 adultes.
Cependant, la retransmission, qui correspond à une transmission après une réception, est globalement de l'ordre de 60 %. Que l'on soit né sur l'île ou non, la retransmission s'en trouve quelque peu différenciée: les taux de retransmission sont à l'avantage des natifs insulaires : 61 % contre 57 %. En revanche, les natifs de Corse habitant sur le continent ne retransmettent, au sens où ils ont parlé ou parlent corse à leurs enfants, qu'à 25 %.
Sur l'île, le taux de retransmission, n'a pas vraiment évolué selon les générations. C'est plus dans la manière de retransmettre que se produisent les évolutions les plus significatives: les générations de parents nées au début du 20e siècle parlaient occasionnellement et habituellement à leurs enfants à peu près au même taux, 30 %. Depuis, la retransmission occasionnelle l'emporte sur l'habituelle et cette domination s'accentue. Ainsi, les parents trentenaires parlent à leurs enfants le corse reçu de leurs parents six fois plus souvent à titre occasionnel qu'à titre habituel.
Il y a aussi un certain nombre de cas où la transmission s'est réalisée sans réception préalable des parents. Selon l'enquête, plus de 5 500 parents ont parlé ou parlent le corse à leurs enfants, sans l'avoir préalablement reçu de leurs propres parents. Ces cas représentent 11,5 % de l'ensemble des transmissions.
Près d'un adulte sur deux déclare s'exprimer en corse
En 1999, au niveau national, 20 % des adultes déclarent «qu'actuellement il leur arrive de discuter avec des proches, qu'il s'agisse de parents, enfants, conjoints, ou d'autres personnes extérieures au milieu familial, comme des collègues de travail, des commerçants, des artisans, dans une autre langue que le français» ; 6 % citent une langue régionale.
Sur l'île, 45 % de la population adulte, soit pratiquement 90 000 personnes, déclarent s'exprimer en corse avec des proches.
Le nombre est certes éloigné de celui de locuteurs d'occitan, d'alsacien ou de breton, dont les bassins de «recrutement» sont plus importants, mais est supérieur à celui du basque alors que la population du Pays basque se rapproche de celle de la Corse. Il y a, en outre, quelque 43 000 locuteurs de corse sur le continent, comme il y a 17 000 bascophones ailleurs qu'au Pays basque. Par rapport à la population interrogée, le corse pèse plus que chacune des autres langues régionales.
Les natifs de l'île davantage corsophones
La pratique du corse a diminué avec le temps. La situation actuelle reflète cette évolution: près de 60 % des personnes nées dans le premier quart du 20e siècle parlent corse. Ensuite, pour les générations des années 40, la proportion des locuteurs diminue et passe sous les 50 %. Enfin ce taux descend sous les 40 % pour les personnes de moins de 35 ans et est à moins de 33 % pour les plus jeunes de 20 ans. Bien qu'en retrait, cette proportion est encore relativement importante, au regard de la pratique des autres langues régionales dont les régressions ont été de surcroît beaucoup plus fortes. Bien entendu, les natifs de l'île, et encore plus les natifs de parents eux-mêmes nés sur l'île, sont relativement plus nombreux à parler le corse. Pour les moins de 35 ans, près de 50 % des premiers et plus de 60 % des seconds parlent le corse. Pour les générations nées au début du siècle ces deux taux se rejoignent aux environs de 70 %. En outre, actuellement et contrairement à la plupart des autres langues régionales, le corse est encore majoritairement parlé de manière habituelle.
Les agriculteurs toujours fidèles à la langue de leur pères
Plus de sept agriculteurs sur dix parlent le corse
La pratique du corse est conditionnée non seulement par le lieu de naissance et l'âge, mais aussi par la catégorie socioprofessionnelle. En réalité, comme on le verra, tous ces critères sont mêlés. C'est parmi les agriculteurs, puis les artisans, commerçants, chefs d'entreprise et les retraités que l'on trouve les plus fortes proportions de locuteurs de corse. Si l'on réaffectait les retraités dans leurs activités passées, les catégories citées s'en trouveraient encore renforcées. Bien sûr, la catégorie socioprofessionnelle interfère avec l'âge et le lieu de naissance: les agriculteurs sont en moyenne plus âgés que les autres actifs et plus souvent natifs de l'île. A l'opposé, les cadres et professions intellectuelles supérieures, ainsi que les ouvriers parlent relativement moins le corse. Ils sont moins souvent insulaires de naissance que les agriculteurs. De fait, certaines professions résultent d'un plus grand brassage de population et, globalement, la part des natifs de l'île parmi les résidents est passée de 73 % en 1975 à 60 % en 1999.
En outre, la proportion de locuteurs de corse en Haute-Corse est plus importante qu'en Corse-du-Sud: 54 % contre 40 %. Cette différence s'explique aussi par les caractéristiques socioprofessionnelles et démographiques de ces deux départements.
Enfin, cette enquête de 1999 confirme une constatation déjà révélée en 1977, à savoir que les femmes pratiquent le corse en proportion moindre que les hommes: 40 % contre 50 %.
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